Blog politique et menace démocratique
La remise à l’ordre dont Sébastien Bourquin, Conseiller général de Neuchâtel, a fait l’objet par le Bureau du Conseil général laisse une distincte impression de gêne, sinon de malaise. A l’origine de l’objet du délit, Sébastien Bourquin a l’outrecuidance de fournir sur son blog www.sebastien-bourquin.ch des informations considérées comme confidentielles, car portant sur les séances de la commission financière dont il est membre. Voilà donc un élu qui se fait tancer par ses pairs pour avoir commis le crime de lèse-majesté consistant à informer des citoyens, un blâme qui est ensuite commenté dans la presse par un représentant de l’administration communale. Cette affaire serait assez grotesque en soi, si elle ne soulevait pas quelques questions portant sur la libre expression, et la circulation de l’information en général, dans le débat démocratique.
Appartient-il à l’administration de motiver le droit de réserve qui s’appliquerait à un élu dans l’exercice de sa fonction ? Qui, au demeurant, définit le caractère confidentiel des informations, et selon quels critères ? En quoi les informations fournies par Sébastien Bourquin relevaient-elles du droit de réserve imposé à tout élu ? En quoi les agissements de Sébastien Bourquin alarment-ils autant certains Conseillers généraux ? Ces questions n’ont aucune connotation politique ; elles sont simplement destinées à mettre en évidence que la circulation de l’information n’est jamais innocente.
A cet égard, l’impression qui domine, c’est que moins la population en sait, mieux ce sera. Pour qu’un bon administré reste docile, passif et silencieux, il importe qu’il soit maintenu dans l’ignorance. Le danger, si un élu commence à fournir de l’information, réside dans le fait que le citoyen – contribuable pourrait commencer à y prendre goût, voire être tenté à exprimer son propre point de vue. Et jusqu’où pourrait-on aller dès lors que les administrés commencent à penser et s’exprimer par eux-mêmes ? Jusqu’à ce jour, la population neuchâteloise s’est toujours signalée par un remarquable sens de la retenue. On ne voudrait quand même pas que cela change ! D’ailleurs, les questions politiques sont souvent trop complexes pour être portées à la connaissance de n’importe quel enfant incapable de discernement. Si le bon berger veut pouvoir continuer de tondre ses moutons en toute tranquillité, n’est-il pas préférable que l’esprit critique de ses bovidés soit limité au strict minimum ?
Dans le domaine de la santé, la circulation de l’information – ou plutôt son absence – est appliquée d’une manière remarquablement consensuelle. Tout en haut de l’échelle, le Conseiller d’Etat en charge du dicastère n’a qu’un mot à la bouche : partenariat. Toutefois, lorsque des administrés se plaignent de n’avoir pas été consultés, en leur qualité de professionnels concernés par les réformes qu’il présente – au lieu de proposer – il est prompt à s’indigner, voire à se fâcher en les accusant de chercher à « torpiller » ou « fusiller » ses projets. Les professionnels de la santé seraient bien inspirés de prendre enfin acte que dans cette relation de partenariat, leur rôle est d’accepter, pas de discuter les réformes présentées par les autorités.
Au niveau de l’administration cantonale, le service de la santé publique applique depuis belle lurette cette conception moderne du partenariat. Disposant d’un peu plus d’expérience, le chef administratif de ce service préfère désormais choisir ses interlocuteurs parmi ceux qui partagent son point de vue et ceux de ses conseillers, la société de consultants Advimed. Non content d’exclure les « partenaires » qui ne partagent pas ses options, ce brillant technocrate requiert de ceux qu’il choisit qu’ils observent le secret en ce qui concerne les décisions dont ils sont priés de prendre acte.
Quant à la direction générale de l’Hôpital neuchâtelois – anciennement EHM – elle pratique l’Edifiant Hautain Mutisme tant à l’égard de ses subordonnés qu’à celui du public. Désireuse de suivre le remarquable exemple donné par sa hiérarchie, elle a à cœur de maintenir dans l’ignorance les collaboratrices et les collaborateurs qui seraient concernés par la réduction d’effectifs qu’elle est chargée d’opérer.
Au final, Sébastien Bourquin serait bien inspiré d’imiter la notable discrétion de ses collègues, et de réduire, voire de supprimer toute considération portant sur autre chose que sur la qualité – et surtout pas le prix coûtant ! – des vins de la ville de Neuchâtel, une ville qui occupe piteusement la position de lanterne rouge des villes les moins bien gérées de Suisse, à en croire le magazine Bilan. Quant aux citoyens neuchâtelois, l’idéal serait qu’ils participent au débat démocratique avec la modération qui est attendue d’eux. Et, surtout, qu’ils paient leurs impôts dans les délais impartis.
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