Centre neuchâtelois de psychiatrie (CNP) : nécessité ou lubie technocratique?
Le 9 mars 2007, le bureau de la communication de la Chancellerie D’Etat publie un communiqué annonçant que « Neuchâtel va se doter d’un centre unique réunissant toutes les institutions de soins psychiatriques subventionnées du canton. Baptisé Centre neuchâtelois de psychiatrie (CNP), ce projet s’inscrit dans un processus global qui a débuté en 2006 avec la mise en place de l’Hôpital neuchâtelois (HNe) ainsi que NOMAD et qui tend à optimiser l’organisation du système sanitaire cantonal. Objectif : décloisonner les institutions psychiatriques pour que le patient soit suivi à l’avenir par une seule autorité médicale et déplacer une partie de l’activité stationnaire vers l’ambulatoire. Le Grand Conseil se prononcera en mai 2007 sur le projet de loi élaboré par le Conseil d’Etat et les institutions devraient intégrer le CNP durant le premier semestre 2008 ».
La référence à l’HNe et à NOMAD laisse naturellement songeur.
Il ressort en effet du projet de création de CNP les éléments suivants :
Ø Il est unilatéralement considéré que les nouvelles structures seront nécessairement plus économiques et plus performantes que les anciennes. De l’avis du Dr. Claude Cherpillod, ce parti pris est contredit par les charges supplémentaires qui seront engendrées par la mise en pace de la nouvelle structure, et par une organisation actuelle qui présente un niveau de performance satisfaisant, comparaison faite avec celles des autres cantons.
Ø On part également du principe que la prise en charge ambulatoire est plus économique que l’accueil stationnaire, alors que selon le Dr Ralph Winteler ce n’est pas toujours le cas et que de nombreux patients psychiatriques ont besoin des deux. Il semblerait d’ailleurs que la diminution des journées d’hospitalisation de ces dernières années n’ait pas entraîné de diminution des coûts… Et, s’agissant de la prise en charge ambulatoire, on passe commodément sous silence les nouvelles dispositions fédérales qui réduisent la prise en charge psychothérapeutique.
Ø Le projet privilégie une approche technocratique qui sous-estime la complexité des problématiques et qui néglige le problème crucial de la circulation des personnes à l’intérieur des structures, et d’une structure à l’autre. Les homes – qui n’ont naturellement pas été associés à la démarche – vont-ils pouvoir continuer de bénéficier de la possibilité d’hospitaliser leurs résidents qui ont besoin d’un bilan psychiatrique, compte tenu de la réduction annoncée du secteur stationnaire ? A défaut, il est certain qu’ils n’hébergeront plus de patients âgés psychiatriques. L’AVIVO et la section neuchâteloise de l’Association Alzheimer ont-ils été associés aux réflexions ?
Ø Comme NOMAD, le projet aurait été mené en partenariat et serait largement soutenu. Ce serait bienvenu, mais nouveau. Il apparaît en effet que de nombreux praticiens n’ont pas été consultés et certains d’entre eux parlent de dictature… Ce projet est placé sous l’égide d’un chef administratif de la santé publique qui peut se permettre d’exclure des consultations tous ceux qui ne partagent pas ses options. Cette tendance est connue et rien ni personne n’y fait obstacle. Il est inquiétant que la réalisation d’un projet qui vise à optimiser la circulation des personnes et des informations soit confiée à un personnage autocratique qui peine à améliorer le fonctionnement de son propre service.
Ø Sur le plan opérationnel, la création de ce nouveau grand machin va-t-elle véritablement contribuer à mettre le patient au centre de la réflexion – à supposer qu’il ne se le soit pas déjà… ? Doit-on nécessairement créer un tel machin pour qu’une partie de cette activité stationnaire puisse être transférée dans des structures ambulatoires à créer ? Une collaboration accrue entre les centres de Perreux et de Préfargier passe-t-elle obligatoirement par la mise en place d’un nouveau machin qui renforce le rôle, l’influence et le contrôle de l’administration sur le système de santé ?
Ø A cela semble s’ajouter, comme d’habitude, une absence d’évaluation des besoins des patients et des coûts de mise en œuvre du projet. En outre, compte tenu des problèmes occasionnés par la mise en place de la nouvelle grille des salaires, c’est le comble de la naïveté ou du cynisme que de présenter l’affiliation à la CCT 21 comme un avantage pour les collaborateurs.
D’un point de vue plus global, ce nouveau projet de la réforme sanitaire cantonale s’inscrit dans un contexte dont il serait prudent de mesurer le caractère volatile. La réforme hospitalière a engendré une levée de boucliers aussi bien dans la population (pétitions ratifiées par quelque 23’000 signatures) que parmi les praticiens (démission des médecins assistants en pédiatrie de l’hôpital de la Chaux-de-Fonds). La qualité des soins hospitaliers est compromise en raison des niveaux de stress inquiétant auquel les soignants sont soumis. NOMAD – qui a été présenté comme la pierre angulaire du dispositif sanitaire neuchâtelois – est une coquille vide qui n’a encore déployé aucun effet. Les associations de homes sont inquiètes quant à leur capacité de pouvoir continuer à fournir les prestations qui sont attendues des institutions. Quant à la mise en œuvre du volet salarial de la CCT 21, elle engendre une insatisfaction qui commence tout juste à déployer ses effets.
Il est en donc à craindre qu’une augmentation minime de l’instabilité actuelle n’engendre des réactions qui pourraient compromettre durablement la nécessaire réforme sanitaire neuchâteloise. On sait ce qui se passe lorsque l’on tire trop sur un élastique. Dans certains milieux, il est d’ailleurs question de référendum contre la loi sur l’EHM ou d’initiative populaire pour garantir la qualité des prestations dans les homes. Nul doute que quelques jours suffiraient pour réunir les paraphes nécessaires tant les citoyens semblent excédés par l’arrogance de l’appareil politico-administratif.
Pour résumer, le projet de création du Centre neuchâtelois de psychiatrie semble être l’expression d’une fixation technocratique qui tient lieu de politique sanitaire. Les autorités – en particulier le chef administratif du service de la santé publique – partent du principe que créer des superstructures étatiques (rachat par l’Etat des divers organismes ou sites chapeautés par des conseils d’administration et des directions générales) va automatiquement se traduire par une amélioration de l’efficacité et de l’efficience du système. Rien n’est moins sûr. Il y a un évident décalage entre cette vision simpliste et le caractère complexe du système de santé. S’il suffisait de renforcer les structures pour que s’améliore le fonctionnement d’un système, cela se saurait… En vertu du principe d’entropie, tout indique que l’ordre localement produit engendrera un désordre général bien plus conséquent ; la réforme hospitalière illustre malheureusement ce processus.
Les diverses réserves exprimées – sur la forme comme sur le fond du projet de CNP – indiquent que la réforme ne profitera pas aux patients, qu’elle ne profitera pas aux soignants, qu’elle ne profitera ni à la collectivité ni à l’Etat, mais qu’elle bénéficiera à l’administration.
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