La planification médico-sociale : bienvenue en utopie
Que penser d’une planification médico-sociale basée sur une « enquête » réalisée auprès de 31 personnes âgées qui expriment qu’elles souhaitent rester… à la maison ? Au train où ça va, nous aurons bientôt à Neuchâtel une planification hospitalière prévoyant la fermeture d’hôpitaux sur la base d’une enquête auprès de personnes qui déclarent préférer être … en bonne santé.
En substance et pour résumer, le Grand-Conseil devra voter sur une planification médico-sociale qui prévoit, d’ici 2022, de :
- faire construire par les communes 1000 appartements adaptés, sécurisés et protégés (structures intermédiaires) ;
- réduire de 400 lits le nombre de lits d’EMS (en transformant des chambres à 2 lits en chambres à 1 lit et en modifiant les missions médico-sociales, le cas échéant)
- tripler le volume des soins à domicile (environ 1000 nouveaux postes à pourvoir…) ;
- créer un bureau d’orientation – « efficace et peu coûteux » – destiné à « conseiller » la personne âgée quant au choix de la structure la mieux adaptée pour elle.
D’emblée, le problème majeur posé par cette planification médico-sociale totalement irréaliste réside dans l’imbrication de ses divers aspects constitutifs : la réduction des lits d’EMS est subordonnée à la construction – par les communes…- des structures intermédiaires et au triplement des soins à domicile, lequel développement constitue un vœu pieux en l’état des finances cantonales. A noter donc que les objectifs de la planification dépendent des bonnes volontés nullement acquises de communes, de proches aidants et autres bénévoles.
Mais, hélas, il y a pire. Issue d’une conception réductionniste de l’organisation sanitaire, la planification médico-sociale oublie complètement les relations qui lient le secteur de longue durée à celui des hôpitaux : il n’est fait nulle part de l’inévitable pression que l’introduction des SwissDRG fait (et fera) peser sur les durées de séjour en soins aigus. Pas un mot non plus sur la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. On reste pantois devant une conception aussi naïve de l’organisation sanitaire qui voudrait que le secteur médico-social existe par lui-même et pour lui-même.
Selon les études disponibles (Obsan, OFS), tout le secteur des soins de longue durée (soins à domicile et EMS) est destiné à devoir se développer considérablement dans les prochaines années (env. 40 % d’augmentation des capacités d’ici 2025). Il est aussi constaté que dans les cantons ayant une structure médico-sociale peu développée, les durées de séjours hospitaliers sont plus longues… S’élevant à plus de 100’000 personnes aujourd’hui en Suisse, le nombre de personnes souffrant de maladies d’Alzheimer ou apparentées devait s’élever à entre 150’000 et 180’000 en 2025. Autant de considérations qui manquent dans la planification médico-sociale : aux études dûment étayées, ses auteurs préfèrent manifestement la philosophie du « Y’a qu’à… ». Tout en prétendant mener une réflexion sur le long terme…
Au surplus, de nombreux aspects d’une capacité adéquate de fournir à la personne âgée les prestations dont elle a besoin sont sous-estimés, quand ils ne sont pas ignorés. Ainsi, à l’instar de la LFinEMS – dont la planification médico-sociale se réclame – on trouve dans le texte très peu de considérations s’agissant de la formation des personnels et rien en ce qui concerne la mise en place de systèmes d’amélioration continue.
Clairement, j’estime que c’est une véritable honte de soumettre un projet aussi lacunaire et ignorant des réalités au vote du Grand Conseil. Espérons que ceux qui observent la gabegie actuelle de la planification hospitalière sauront, en toute logique, apprécier le caractère utopique de cette planification médico-sociale, dont le but inavoué est de faire des économies dans les EMS pour parvenir à financer les dépenses croissantes des hôpitaux et des soins à domicile.
Philippe Maire
Expert fédéral en gestion hospitalière
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